Restauration du Dieu piteux

 Le Christ assis au calvaire

                                                     ou le bon Dieu de Pitié

                                                     ou le Dieu piteux

Sous ces appellations, un Christ couronné d’épines, les mains liées, est représenté assis et portant parfois un manteau rouge jeté sur ses épaules.

La statue du Dieu piteux qui se trouvait dans la chapelle du Saint-Sacrement avant les travaux de la cathédrale a été restaurée par l’atelier de Monsieur P. Bricout.  Chargé par les Amis de la Cathédrale d’une remise en état, ce maître artisan a procédé à une restauration de qualité en restituant à la pièce son état original évalué selon le contexte de sa provenance, soit l’ancienne abbatiale tournaisienne de Saint-Médard, à décoration baroque.

Sous les regards de Notélé (voir le reportage …), une présentation de l’oeuvre par Monsieur Bricout a eu lieu ce 19 mai 2015 au profit des membres de l’association.

La statue est a été exposée à la veille de Pâques 2014 devant l’autel des célébrations de la nef.

Il importe de ne pas le confondre le Dieu de Pitié avec l’Ecce Homo, la différence venant du fait qu’il soit assis, au pied du calvaire et qu’il attende en effet d’être cloué sur la croix. A l’appui de cette proposition, il y a le crâne, qui affleure du sol et que la Tradition identifie à celui d’Adam dans son désir de voir le Christ, l’Homme Nouveau doit être crucifié sur la tombe de l’Homme Ancien.

DieuPiteuxLa Tradition, surtout statuaire ou iconographique ne reflète pas toujours le contenu des Évangiles, mais elle entend généralement mettre en relief une intuition théologique.

En l’occurrence, R. Didier (1) pense qu’il faille ici se référer aux écrits de Johannes Brugman (1400-1473) qui disserte sur le Christ assis sur une pierre en attendant son supplice. Celle-ci pourrait être mise en relation avec un objet de dévotion de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem : une pierre sur laquelle Jésus se serait assis avant d’être fixé au bois de la croix.

Cette représentation n’est pas rare: au XV ème siècle, Émile Mâle (2), s’appuyant sur la littérature médiévale, celle des Mystères en particulier, pense que cette image a hanté l’imagination populaire impressionnée par le détail des étapes de la montée au calvaire. Les arts devenus plus sensibles se sont alors emparés de la Passion et ont contribué à la diffusion de l’image du Christ aux outrages.(3)

Émile Mâle insiste sur le rôle des Mystères parce qu’il pense que c’est au théâtre que l’on a pu voir pendant quelques instants le Christ dépouillé de sa tunique, assis, attendant avec résignation que les bourreaux achèvent les préparatifs de sa crucifixion. C’est peut-être la raison pour laquelle les statues du Christ ainsi isolé seront un des topiques préférés de la dévotion populaire. On lui ajoutera progressivement le manteau sur les épaules et on lui mettra en mains un roseau en signe de sceptre. La plupart du temps, le Christ incline la tête sur l’épaule gauche, ses mains croisées sont liées par une grosse corde qui, parfois aussi lui entrave les chevilles.

Dans nos régions, cette dévotion fut jadis extrêmement populaire et si ces images ont quelques traits communs, les variations de détails sont infinies.

Les représentations du Christ assis au calvaire traverseront les siècles jusqu’au XVII ème et même, plus rarement, jusqu’au XVIII ème siècle.

Mais toutes ces images pathétiques s’opposaient à l’esprit grec qui allait fleurir avec la Renaissance. Les Christs ne seront plus écrasés de douleurs, ce seront des athlètes, comme ceux de Michel-Ange, qui méprisent la douleur et apprennent à la mépriser.

Ces deux visions cohabiteront de telle sorte que l’on a pu parler de l’histoire de l’art de la Renaissance, dans nos régions, comme celle d’un lutte entre ces deux principes le pathétique issu de la fin du Moyen-Age et de la Devotio Moderna et la maîtrise qui entend maîtriser la vie, caractéristique d’un humanisme quelque peu stoïcien.

  1. Didier R., Un Christ anversois conservé à Binche in Bulletin de l'Institut Royal du Patrimoine Artistique, 1963, n°VI, p.180
  2. Mâle E., L'art religieux à la fin du Moyen-Age en France, Études sur l'iconographie du Moyen-Age et ses sources d'inspiration,  Paris, Armand-Collin, 1931 L'auteur y explique qu'au XV ème s., les œuvres sont plus sombres et plus tragiques et la Passion du Christ devient l'objet, non plus de considérations dogmatiques comme précédemment, mais de représentations sentimentales qui parlent au cœur. Les franciscains ont fait naître de nouvelles formes de sensibilité, notamment par un livre de méditations sur la Passion du Christ, que l'on attribua longtemps à St Bonaventure, mais qui est en réalité l'œuvre d'un Franciscain inconnu du XIII ème s. L'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ a lui aussi favorisé la rencontre de la mystique et de l'art.
  3. La méditation des scènes de la Passion se développe et les livres de piété y contribuent en donnant des détails qui frappent l'imagination. Ainsi d'après le Speculum Passionis, la couronne d'épines était composée de septante-sept épines dont chacune portait trois pointes. Un autre traité pieux, l'Horologium Passionale , s'efforce de mettre en relation les différentes heures du jour avec les étapes de la Passion. C'est de ce temps également que datent les représentations plus doloristes du Christ en croix, qui est de plus en plus saisie comme un gibet. Un détail emprunté aux mystiques vient également changer la figure du Christ et croix : il garde désormais sa couronne d'épines et il arrive qu'avec réalisme, sa barbes et ses cheveux soient poisseux de sang.