Daniel H. et Josiane Fruman -Cougard sont des experts reconnus en matière de textiles liturgiques anciens. Ils ont offert à la cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay la collection qu’ils avaient rassemblée au fil de leurs voyages et de leurs achats en ventes publiques. Reconnue pour sa richesse en France et au niveau international, elle constitue désormais le Trésor brodé de la cathédrale. Invités par les Amis en 2019 à donner une conférence sur l’iconographie des broderies anciennes, ils ont depuis gardé le contact avec Tournai où leurs séjours répétés pour étudier certains vêtements conservés au Trésor sont devenus amicaux. Daniel H. n’a pas manqué de venir assister au défilé en novembre dernier.  Il nous fait partager ses impressions destinées à son blog “plaisirs textiles” illustré de photos de l’événement.


En 1972 Federico Fellini réalisa le film « Roma » dans lequel il incorpore un défilé de mode ecclésiastique d’une durée de presque dix minutes, au cours desquelles son œil sarcastique et son imagination fébrile offrent une vue surréaliste de ce qui peut être cette « mode », si elle se trouve livrée à la création indiscriminée de la « haute couture ». Avec un tel précèdent, la décision des Amis de la Cathédrale de Tournai d’organiser un défilé, Figure 1, « inattendu » de la collection 1450-1950 du vestiaire du culte catholique (il faut bien le spécifier) conservé dans la sacristie de cette vénérable institution était, pour le moins, courageuse et, pour le plus, hasardeuse.

C’est vrai que la mode ecclésiastique, j’insiste, du culte catholique, réserve d’innombrables surprises puisqu’au cours de cinq siècles – de la fin du moyen âge au milieu du siècle dernier – elle a subi des changements qui restent ignorés de la plupart des fidèles et qui ont été influencés par ceux de la pensée et de la mode profane. Il n’est pas mon intention de faire un cours sur l’usage éducatif du décor des habits des prêtres – chasubles, chapes, dalmatiques – et autres linges sacrés. Cependant, entre 1450 et 1650 on offrait au regard un décor d’images de saints personnages ou de scènes historiées, brodées essentiellement avec des matériaux riches qui jouent avec la lumière pour attirer le regard des fidèles.  L’église portait ainsi son enseignement au sein même des cérémonies du culte. Au-delà de 1650, la nécessité de recourir à ces représentations diminue considérablement et on les  remplace par des décors géométriques – arabesques, rubans, cuirs découpes – qu’incorporent peu à peu des vases fleuris, de guirlandes de fruits et fleurs au naturel ou d’imagination, des feuillages et branchages… Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour revenir à une représentation de saints personnages et scènes historiées en association avec une « renaissance » de l’art gothique. Le XXe siècle, surtout pendant sa seconde moitié, prône la simplicité, et se laisse pénétrer par l’art contemporain où l’abstraction, à fort impact visuel, qu’ignore tout récit.

D’après ce qui précède, il faut reconnaitre que les Amis de la Cathédrale de Tournai ont réussi leur gageure. En accompagnant le défilé, comme le fit Fellini, d’un texte explicatif récité par deux locuteurs placés à chaque extrémité de l’estrade, ils l’ont rendu intelligible aux spectateurs.

Pour des raisons de conservation d’une part et de disponibilité d’autre part, puisque elles  se trouvaient au TAMAT  pour l’exposition Habiller le culte, les œuvres les plus anciennes -XVe et début XVIe siècle – et  l’ornement dit « Grand Rouge de Saint-Martin » n’ont pas défilé et seules quelques images ont été montrées dans les deux écrans se trouvant aux extrémités du podium.

Ainsi, on débute le défilé par la mise en scène de l’habillement du prêtre pour la messe, endossant successivement l’amict,  l’aube, le cordon, l’étole, le manipule et la chasuble, Figure 2. On a choisi pour cette démonstration l’ornement blanc de l’abbé de Saint-Martin de Tournai Antoine de Roore datant de 1633. La chasuble est agrémentée sur le devant d’une bande d’orfroi  montrant trois niches superposées, Figure 3, abritant chacune un saint sur un fond de paysage. Sur le dos, et comme il est normal pour un ornement des Pays-Bas du Sud, est fixée une croix latine décorée avec des scènes peuplées de personnages, Figure 4. Dans cette photo on voit aussi en arrière-plan le dos d’une dalmatique appartenant au même ensemble et embellie avec des orfrois à personnages.  D’un ornement dit le Grand rouge de Saint-Jacques de velours brodé d’or en couchure et guipure avec des quadrilobes refermant des symboles se rapportant à Jacques le majeur, la Figure 5 montre une chasuble suivie d’une dalmatique et de deux chapes.  

La  Figure 6 montre une chape de l’ornement dit Grand rouge de Lyon, dont le fond est embelli de broderie d’or formant des grands rinceaux et enroulements portant à leurs extrémités des symboles eucharistiques – des grappes de raisin et des épis de blé – et des fleurs d’imagination. Notez le riche chaperon dont le motif central est la représentation du pélican donnant son sang à ses petits. Il est entouré d’une gloire rayonnante, dont les rayons les plus longs, en haut et sur les côtés, sont un rappel de la Trinité, suivie d’une large bordure reprenant  le décor du corps de la chape.   

Dans les ornements dits « blancs » on peut mentionner, outre celui déjà présenté en figures 2 à 4, la chape de la Figure 7 qui se distingue par le fait que le fond est moderne tandis que les orfrois et le chaperon sont anciens, du XVI siècle, de très belle facture, avec un superbe travail d’or nué et en couchure rehaussé par un relief accentué . Les orfrois sont scandées par des  cartouches circulaires, enfermant  des scènes histories racontant la Vie de la Vierge, séparés par un complexe décor fait de rinceaux feuillagés. La magnifique broderie du chaperon  illustre l’Arbre de Jessé, Figure  qui se distingue, par rapport à d’autres  représentations, par le fait que Jessé, père du Roi David et initiateur de la généalogie de la Vierge et son enfant, est assis sur un trône au lieu de couché ou récliné, comme dans un manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris.   

La production moderne et contemporaine a été représentée par une série de chasubles de forme gothique exécutées par la maison Grossé, dont nous montrons un exemplaire particulièrement remarquable en Figure 9.

Nous pourrions nous étendre plus longuement sur cet évènement qui se conclut par une « finale » somptueuse, pendant laquelle on a vu défiler en quelques minutes l’ensemble des  ornements sous les applaudissements des spectateurs, conquis par leur beauté, mise en valeur et sublimée par la grandeur du lieu.